C’est au détour d’un week-end de mai associant repos et contemplation avec un bon bouquin que je suis enfin capable de faire un pas de côté. Laisser mes outils, mon œuvre, mes clients et la routine quotidienne m’ont permis de répondre à une demande d’une relation de longue date qui me taquine.
Comment formaliser la genèse d’une guitare singulière sanctionnant des années de collaboration sur la pratique évolutive d’un ami guitariste : “Greg j’ai besoin du chaînon manquant avec un P 90. Tu as carte blanche…”
Aïe Aïe Aïe !!! Comment réduire à sa plus simple expression cette demande tant les possibles sont légion…
J’ai le temps pour cette performance. En plus, des idées plein la tête mais de grandes difficultés à finaliser le projet.
J’ai pour habitude de travailler du sur mesure avec des demandes relativement précises. Choisir les options en affinant les sélections. Essences utilisées, mode de constructions esthétiques, confort, sans oublier l’essentiel résultant de tous ces choix, le caractère même de la guitare donc le son qu’elle sera capable de restituer sous les doigts du guitariste.
Mais là… Je suis totalement libre !
Mon mode opératoire habituel est de construire sur papier l’instrument demandé à l’envers.
Tout d’abord quel sera le look de la bête…. Couleur, type de finition, design, ergonomie. Électronique, micros et composants. Accastillage, mécaniques chevalet et autres. Mode de construction. Manche collé, vissé, conducteur… Tout est envisageable…
Mais là, une fois de plus, je suis libre donc dans la panade !
Je décide de me concentrer sur les goûts et l’évolution musicale et personnelle de Christophe que je lui connais depuis plus de 30 ans…
Dans un premier temps, j’essaie de confronter mes idées concernant les matériaux à utiliser, mais, là encore, les possibilités sont trop nombreuses et je veux absolument être le plus efficace possible.
Le P 90 appelle cette simplicité !
Le temps passe je décide donc d’entamer la construction des fondamentaux en commençant par le manche sans avoir défini réellement ce que sera le résultat final.
Dans mes stocks de bois, je déniche un bloc de cèdre du Honduras. Jolie couleur, densité parfaite, acheté en 1995 sur un parking à un marchand de bois à la sortie d’un salon, donc sec ! Une touche en palissandre un peu raide pour un assemblage qui me convient, compromis entre élasticité et raideur, avec une jolie fibre et une couleur cohérente avec le manche. Un plaquage de loupe de noyer discret…
J’avance !
Pour le corps, je choisis un acajou américain de 38 mm, trop fin pour un corps massif de type moderne. Me voici avec une fourniture qui s’accorde… je vais les marier !
J’ai un fil conducteur qui me tient à cœur pour l’accastillage… Une idée de plaque en cuivre ou bronze que je devais mettre en œuvre avec des étudiants de l’école BOULLE.
Je décide donc de lancer la fabrication, mais là, coup dur, la covid s’invite à la fête et mon projet de plaque avec l’école tombe à l’eau !
Je contourne le problème et je me concentre sur le manche. Je choisis de réaliser une tige de réglage ultra légère afin de ne pas interagir avec mon cèdro. Je ne veux pas insérer 200 gr d’une tige à double action dans un bois de cette qualité acoustique.
Je passe en “pilotage automatique” pour les opérations qui ne me demandent aucune recherche… Intégration de la tige de réglage, collage de touche, sillage de frettes, radius compensé 9 ½ 10 ½ ce qui donne une liberté pour les “bends”, façonnages de la tête et du galbe du manche de manière grossière pour le moment… J’arrive aux incrustations des repères… Mais quels repères ?
Je collectionne depuis des années des matériaux de tous genres. Acétate, rhodoïd, galalithe et autres. Je trouve un acétate avec un effet ondé ambre et blanc nacré qui me plaît.
Tout s’accélère ! J’ai enfin une esthétique en toile de fond qui me permet de diriger le projet. Donc mes repères seront réalisés avec cet acétate serti de laiton “signature GREG”, et, le tout s’éclaire ! Les frettes seront en alliage cuivre argent. La plaque du même acétate.
Je dois maintenant finaliser la forme du corps et de la tête. J’ai quelques idées mais je suis un peu hésitant. Je décide de faire entrer Tanguy, mon fils et collègue, dans la danse, histoire de le confronter aux vicissitudes de la création.
Après avoir effectué mes pesées, pour placer le centre de gravité de la guitare, les choix s’affinent en termes de volume pour le corps et ainsi créer l’environnement idéal. Le manche sera collé, la tête renversée…
Et là, Tanguy me propose une courbe générale pour la tête et le corps et quelques détails simples et efficaces. Tout ce que j’aime avec un choix bicolore pour le vernis !
Je choisis une méthode de vernissage un peu compliquée. Une métallisation avec paillettes de cuivre teintées et une couleur naturelle légèrement réchauffée. Le masquage et les paillettes nécessitent une épaisseur importante pour une finition optimale. Par souci écologique, j’applique une méthode me dédouanant d’un bouche pore. Les ponçages entre chaque couche sont extrêmement pointus. 170 gr pour un vernis complet finition brillante avec ponçage et polissage me ravissent et j’obtiens un effet relief avec une couleur changeante selon les éclairages du plus bel effet.
A partir de ce moment ne reste plus qu’à assembler les pièces sélectionnées et patinées pour donner une cohérence d’un autre âge.
Pour le P90 je contacte Julien de HEP CAT, avec qui je travaille régulièrement, et, je lui raconte ma petite histoire. Comment j’entends le micro sonner. J’ai une totale confiance et je sais qu’il peut diriger un rendu sur demande. Je cherche de la rondeur, sans envahissement pour les graves et des aigus clairs sans l’acidité, avec les médiums qui viennent harmoniser tout cela : du rêve au fantasme !
Un capot métal pour le micro passé à la meule au diamant et à la flamme pour un rendu décalé.
Un bouton de potentiomètre tourné sur un assemblage bois et acétate.
Des mécaniques légères, un sillet en os.
J’ai donc une réalisation dans les mains qu’il va falloir régler points par points, ce qui à mon sens fait toute la différence.
C’est à cet instant que j’ai besoin, de baptiser la guitare, de lui donner vie pour me séparer de l’objet, devenu guitare à part entière…
Elle s’appellera La PALMA ! Et je lui souhaite de ravir celles et ceux qu’elle approchera… Tel un doux volcan sur une île paradisiaque…
Alain Grégoire – DNG Guitares Ets Grégoire
Réparation restauration et fabrication de guitares